La lumière s'allume sur
deux personnes : une femme et un homme, devant une table
couverte de photos, le photographe parle à la
femme : l'auteur. Au centre de la scène, dans l'ombre,
le groupe forme une perspective en deux lignes débouchant
sur un " Arc de triomphe composé de deux stagiaires
debout face à face, bras posés sur les épaules, bras
tendus. Un garçon et une fille figurent les
promeneurs au centre. Photographe :
Tu vois, je commencerais bien par cette photo, à la fois
simple et originale par l'angle de prise de vue.
Auteur : Les champs Elysées ? Tu ne
crois pas que c'est un peu trop classique, un peu rebattu
? Que veux-tu que je mette comme texte là dessus ?
Photographe : Je ne sais pas moi, c'est
toi l'auteur. Je fournis les photos, tu fais les textes.
Mets des paroles de chanson par exemple.
Plein feu sur la scène. Le groupe
chante
Aux Champs Elysées puis
la scène s'éteint et la lumière revient sur
les deux personnages
Auteur : (dubitative) Peut-être...
Je ne sais pas... (entre l'imprimeur). Tiens voilà
notre imprimeur, demandons-lui son avis. (A l'imprimeur)
: Bonjour chère amie, comment allez-vous ? Vous
tombez à pic vous allez nous donner votre avis.
Imprimeur : Bonjour, ça va bien. De
quoi s'agit-il ?
Auteur : Pierre veut commencer son
livre par cette photo des Champs Elysées (elle montre
la photo).
Imprimeur : (dubitative) Moui...
Peut-être... C'est pas un peu trop classique ? Un peu
rebattu ?
Photographe : (s'énervant)
Ça y est ! Ça recommence ! Mais enfin que voulez-vous
de mieux que les Champs.
Elysées pour commencer un bouquin sur la ville ! On
entre tout de suite dans le sujet ! On annonce la couleur.
Imprimeur : Oui... Mais alors
pourquoi pas en noir et blanc ?
Photographe : Ça c'est une bonne idée.
A ce moment là, par contraste, on mettrait après une
photo très colorée. Celle d'Istanbul par exemple.
(Il cherche dans le tas de photos et
au moment où il sort l'épreuve, on chante Istanbul
)
Auteur: (inspirée) Oui, oui...
et on a le lien entre les deux photos... Le contraste et
l'unité avec pour légende : " la ville : une
histoire d'amour ".
Photographe : Oui ! Très bien ça !
Tu le gardes.
Auteur : (notant son commentaire
sur une feuille) et pour le contraste suivant, que prévois-tu
?
Photographe : Euh... quelque chose
de tranquille, de calme (il cherche dans le tas de
photos) tiens, ces deux jeunes vietnamiennes près de
Hanoi.
Suit : la chanson du Viêt-nam
(juste le projecteur central à mi-feu
sur les chanteuses)
Auteur : D'accord et je légende d'une
seule phrase : " Sérénité au Viêt-Nam " .
Imprimeur : Mais dites-moi, Il ne
devait pas y avoir votre éditeur à cette réunion ?
Photographe : Si, mais vous savez
comment il est... toujours en retard. (On entend l'éditeur
hurlant en coulisse : " Bon tu reviens me
chercher dans une heure ! " ) Tiens, quand on
parle du loup...
Auteur : Du chacal, tu veux dire !
Imprimeur : (à mi-voix) Oui, du
requin qui va encore se tailler la part du lion. (Entre
l'éditeur). Oh bonjour, monsieur Grégorian, comment
allez-vous ?
Editeur : Mal, j'ai arrêté de
fumer, ça me fout de mauvais poil. J'ai peu de temps
pour vous. Où en êtes-vous ?
Photographe : Nous établissons l'ordre
des photos avec pour principe : le contraste.
Editeur : Ouais je vois le choc des
photos quoi.
Imprimeur : (à part) J'ai déjà
entendu ça quelque part ;
Photographe : Nous commençons par
les Champs Elysées.
Editeur : (très sec) Trop
classique, rebattu !
Les trois autres : (outrés)
Oh !
Editeur : Bon, tout le monde est
encore contre moi ! Après ?
Photographe : (montrant les photos)
Istanbul puis Hanoi.
Imprimeur : (à part) mais où
ai-je donc entendu cette phrase ?
Editeur : Après ?
Photographe : Je propose un rappel
des verticales et un contraste avec Notre-Dame.
Auteur : Et en légende : " Le
temps des cathédrales ".
Suit : la chanson Le
temps des cathédrales
Imprimeur : Superbe ! Je la
verrais bien sur une face couleur celle-ci. (A part) Mais
où ai-je vu cette phrase ?
Photographe : Excellent ! Vos idées
sont précieuses, Madame Leboeuf ! Gris sur un fond bleu
clair...
Editeur : Non mais ça va pas ? Vous déraillez
! Ça coûterait combien cette plaisanterie ?
Imprimeur : Oh à peine plus cher qu'un
papier glacé blanc de qualité ! (A part) Ca m'agace,
cette phrase.
Editeur : Du papier glacé !
Et puis quoi encore ! Un bon papier ordinaire oui !
Photographe : (furieux à son
tour) C'est un livre d'art ou du papier toilette que
vous voulez éditer ?
Editeur : Tiens c'est une idée ça
du papier Q imprimé, je ferais un tabac avec ça. (Il
regarde le cigare qu'il mâchonnait) Ah ! C'est
malin vous m'y faites repenser.
Photographe : (ferme) En tout cas
nous n'éditerons pas chez vous si ce "est pas sur
du papier de qualité.
Editeur : On en reparlera. C'est une première
réunion. Vous mettez quoi après ?
Photographe : (boudeur) De la
couleur : le Brésil
Suit : La fille
d'Ipanima
Editeur : Bon, ça plaira ça, la fille
est pas mal ! Après ?
Photographe : Retour au calme et au
gris avec une photo de Gottingen.
Suit : Gottingen
Editeur : C'est tristounet
votre affaire là.
Photogène : Mais...
Editeur : Ça a va pour une photo mais n'y
revenez pas ! On vendra rien, sans ça ! Après ?
Photographe : (Cherchant) Après...
Editeur Oui, après, grouillez-vous un peu
j'ai pas que ça à faire moi
Imprimeur : (à part, cherchant
dans ses souvenirs) Je l'ai plus vue qu'entendue,
cette phrase.
Editeur : Alors ça vient oui ?
Photographe : Je pensais cette photo assez
étrange de New York.
Suit: J'ai
rêvé New York
Editeur : Bizarre votre truc, ça
se regarde dans quel sens ?
photographe : (agacé, lui remet la
photo a l'endroit) Ainsi ! Après je veux passer à
quelque chose de plus traditionnel et de plus gai. (Présentant
la photo) Celle-ci a été prise en République Tchèque.
Suit : la danse de la
Tchéquie
Editeur : Ouais, c'est gentillet.
Pas très percutant quand même et puis le folklore c'est
dépassé.
Auteur : Si je peux me permettre de donner...
Editeur : (lui coupe la parole
sans même s'en rendre compte) Enfin, je suis trop
bon avec vous, je vous passe encore celle-là.
Imprimeur : (à part) Ce n'est
pourtant pas une phrase de Yourcenar ?
Photographe : Mais c'est une belle photo...
Editeur : Oui, oui, d'accord, la suite
Photographe : Ensuite on revient sur Paris
et la Seine, j'ai toute une série de photos intéressantes
sur ce thème.
Suit : Paris
se regarde
Editeur : Paris, la Seine, ça marche
toujours ça. On peut même en mettre plusieurs. (Il
retire sa veste).
Photographe : Je n'y tiens pas trop, je ne
voudrais pas déséquilibrer l'ensemble...
Auteur : Et puis...
Editeur : ( sans prendre garde à
elle) Dommage. On pouvait faire tout un bouquin sur...
Auteur : (le coupe à son tour
vigoureusement) Est-ce que je vais enfin pouvoir dire
ou écrire un mot ? C'est tout de même un monde ! J'existe,
je vous signale ! et je ne suis pas là pour la décoration
mais pour ajouter le poids des mots à celui de l'image
Imprimeur :- Voilà, c'est ça, "le
choc des mots, le poids des photos ", le magazine,
bien sûr ! Comment est-ce son titre ?
Editeur : (D'abord interloqué, reprend
son aplomb, protecteur) Mais ma petite demoiselle...
Auteur : (furieuse) D'abord, c'est
Madame et ne vous imaginez pas que vous allez pouvoir me
traiter comme vous devez le faire de vos secrétaires !
Je ne suis pas à votre service moi ! Je ne dépends pas
du marchand de soupe que vous êtes. Et (montrant le
photographe) l'autre là, qui se laisse marcher
dessus sans rien dire ! Chiffe molle va !
Photographe : Mais chérie...
Auteur : Il n'y a pas de "chérie
" qui tienne ! Tu as vu comment tu laisses traiter
ta femme.
Editeur : (désarçonné) Ah parce
que vous êtes sa... ?
Imprimeur : ( dans ses pensées, s'éloignant
un peu) Ce n'est pas France Matin.
Auteur : Sa femme oui... pour l'instant... (au
photographe) toi ce soir, tu dors sur le canapé ! En
attendant, on travaille, le gros plein de soupe n'a pas
que ça a faire, il a dit. Contraste ! Sors ta photo d'enfants
africains.
Editeur : (Devenu prudent) Vous
croyez que des enfants nés en Afrique... ?
Auteur : Il faut bien naître quelque part
! D'ailleurs ce sera ma légende : Etre né quelque part
Suit : la chanson de
Maxime Leforestier : Né
quelque part
Editeur : Mouais... Je me demande si un bouquin
de photos ça vaut vraiment le coup ? Qu'est-ce que vous
en pensez, Madame Leboeuf ?
Imprimeur : (perdu dans ses pensées)
Ce n'est pas non plus ici Londres. ( S'apercevant qu'on
lui parle) Pardon ?
Editeur : Je disais : est-ce que ça
vaut la peine de sortir un bouquin de photo ?
Imprimeur : Tout dépend de ce que vous
cherchez : si vous voulez la rentabilité immédiate, non
?
Editeur : C'est bien ce que je
pensais. Il remet sa veste et tourne les talons
Imprimeur : Mais si vous souhaitez faire de
votre maison une édition de prestige, lui faire une
grande réputation, il faut le faire, ce livre, et le
faire bien.
Editeur : (hésite un instant puis son
visage s'illumine, il revient en retirant sa veste)
Alors qu'est-ce qu'on met après ?
Photographe : Mais... ?
Editeur : Si vous pensez que le gros
marchand plein de soupe va laisser passer une affaire
aussi juteuse ? Vous vous trompez
Alors, qu'est-ce
qu'on met après ?
Photographe : Mais.. .
Editeur : Arrêtez de bêler et qu'on
avance.
Auteur : (Au photographe ) Si
tu veux du contraste, présente tes photos d'embouteillage.
Editeur : Voilà, ça c'est la ville : les
embouteillages !
Auteur : Et sur la page de droite, je mets
un texte de Boileau : "Les embarras de Paris"
pour la liaison avec l'histoire
Suit le texte : Les
embarras de Paris
Editeur : Très bien, ça. On pourrait
pas mettre un fond de fumée derrière ce texte ?
Photographe : (désabusé) Si vous
voulez !
Editeur : C'est dit ! Après la fumée on
met quoi ? (A part, à l'imprimeur) Ça fera cher
?
Imprimeur : Assez, oui les
surimpressions...
Editeur : Tant pis, nous sommes une maison
de prestige... Alors quoi ? ( Le photographe reste
perdu dans ses pensées).
Imprimeur : Vous m'avez montré l'autre
jour de belles photos du Mexique.
Auteur : Oui et on pourrait commenter d'une
légende Maya.
Suit : la danse du
Mexique
Editeur : Parfait ! On l'encadre
en rouge et jaune ?
Imprimeur : Rouge et jaune ?
Editeur : Ben oui, les couleurs du
Mexique. Je sais bien, on a fait le Mexique aux vacances
l'an dernier.
Auteur : Non trop dépliant publicitaire,
pas assez de classe.
Editeur : (déçu) Ah bon, dommage.
Alors, après ? (Le photographe ne bronche pas) Remuez-vous
mon vieux, c'est votre bouquin.
Photographe : Je me le demande. (A l'auteur)
Qu'est-ce que tu voulais dire par "sa femme pour
l'instant ? "
Auteur : Mais rien, j'ai dit ça parce que
j'étais en colère.
Photographe : Tu es sure ?
Auteur : - Mais oui. Quel contraste mets-tu
pour le Mexique ?
Photographe : (à l'auteur) Sure ?
(L'auteur lui fait "oui " de la tête avec un
geste de baiser). Bon après le soleil, il faut
descendre dans l'ombre des sous-sols avec la vie
difficile. Cette photo.
Suit: La complainte de la
serveuse automate
Imprimeur : Elle est belle mais assez
sombre, il faudra beaucoup travailler le contraste.
Editeur : Et alors ?
Imprimeur : c'est cher.
Editeur :On s'en fout ! Le prestige l'exige.
Imprimeur : Comme vous voudrez !
Editeur : Alors, le nouveau contraste ?
Photographe : Ce couple d'amoureux au
soleil de l'Italie.
Suit : la chanson
italienne
Auteur Légende : Le soleil luit-il pour
tout le monde ?
Editeur C'est pas un peu subversif ça ?
Faut pas effrayer le client ?
Auteur Les amateurs d'art adorent les
artistes subversifs et les bourgeois adorent se faire
peur.
Editeur Ah bon, alors, on leur fait peur
avec quoi ?
Photographe : Une photo de loubards peut-être.
Suit : Quand
on arrive en ville
Editeur : Dites, ils sont pas
dans le coin vos types là ? Parce que j'ai une Jaguar
moi Photographe : Non : une ville de
province.
Editeur : Elle est vraiment
effrayante votre photo. On s'y croyait.
Auteur : Légende : Attention ils
vont sortir ! ( l'éditeur sursaute et retourne la
photo sur la table).
Editeur : Quelque chose de gai maintenant
hein ?
Imprimeur : Un peu de rêve, peut-être ? (A
part) c'est pourtant pas "privé ".
Photographe : Vous avez raison : du rêve.
Cette ville orientale dorée par exemple.
Auteur : Et sur la page en face, un
poème de Hugo : rêveries.
Suit : le poème Rêveries
Editeur : Très joli ça
(A l'imprimeur) on peut dorer la page ?
Imprimeur : oui mais c'est très
cher et ce serait un peu surchargé.
Photographe : Non la photo se suffit à
elle-même n'ajoutons rien.
Editeur : Mais ça ferait
riche... Un bouquin prestigieux.
Les trois autres : Non !
Editeur : Bon j'insiste pas
mais c'est dommage. Tournons la page. Vous auriez pas une
photo de Paris le matin au petit jour. Ça serait un bon
contraste, non ? La lumière pâle après la dorée ?
Quelque chose du genre :
Il chante : Il
est 5 heures Paris s'éveille (Deux
ou trois couplets)
Photographe : Non je préférerais un
contraste de mouvement. L'Espagne par exemple.
Suit : La danse
espagnole
Editeur : C'est vrai que ça décoiffe
: on voit bien le mouvement mais on dirait que vous
faites tout pour me contrarier.
Auteur : Pas du tout, ce n'est pas
mon impression mais,
Avec le Photographe : nous n'avons pas les
mêmes valeurs.
Imprimeur : (à part) Ce n'est
pas dans le même journal ça.
Editeur : Bon, j'vais pas
poser à l'intello. Je reste terre à terre. Qu'est-ce qu'on
met après ?
Photographe : On part à Pékin voir un
copain.
Suit : Mon
copain d'Pékin
Editeur : Oui C'est bien ça, la Chine
ça plaît bien... On imagine tous ces petits chinois
dans leur costume bleu...
Auteur : Et la Pologne, vous pensez
que "ça plaît " aussi ?
Editeur : Ben... pourquoi pas
?
Auteur : Tant mieux parce que
Pierre a de très bonnes photos du folklore polonais.
Photographe : Oui celle-ci par exemple.
Suit : la danse
polonaise
Imprimeur : Une photo pour un magazine,
mais quel magazine ?
Editeur : C'est la deuxième que je vous
passe. C'est vrai quelle est assez sympa. Et vous mettez
quoi en contraste ?
Auteur : Si je mets en légende "fraîcheur
polonaise ", sur mets-tu en face.
Photographe : La pollution de certaines de
nos villes françaises.
Suit : Ma ville
Imprimeur : Désormais je ferais
attention aux déchets de l'imprimerie.
Editeur : Heureusement que ça va changer
dans les années à venir.
Photographe : Vous en êtes sûr ? La ville
future pourrait ressembler à ceci.
Suit:
Monopolis
Auteur : Ou encore à celle que tu as
prise un jour où la circulation n'était permise qu'aux
piétons. Tiens, la voilà.
Suit :
La
fête
Les quatre personnages rejoignent les chanteurs et
font la fête avec eux.
A la fin de la chanson l'imprimeur accroche l'éditeur
et le photographe par la manche et leur demande :
Dites-moi, le choc des mots, le poids des photos, c'est
pour quel magazine ?
Photographe et éditeur : Un magazine ?
Tiens c'est une idée ça !
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